Pour l'oeil non averti, le jardin créole est un joyeux désordre, où se côtoient différentes plantes que certains qualifieraient de mauvaises herbes. Pourtant, dans cette végétation foisonnante à l'apparence sauvage, se cache un véritable trésor, savoir-faire hérité d'un mélange d’influences amérindiennes, africaines, européennes…
Le jardin créole, un héritage, un patrimoine
Au départ, les premiers habitants de la Martinique- les Indiens Kalinagos venus d’Amérique du Sud- cultivaient selon un système d'agroforesterie comme on l'appellerait aujourd'hui : l'”ichali”. Le manioc était prédominant, les cultures se faisaient sous couvert forestier, et on y trouvait déjà le giraumon, la patate douce, le chou caraïbe pour les plantes vivrières mais pas seulement. Ils utilisaient déjà les plantes médicinales comme l'ayapana et le coton ou la calebasse donnaient la matière brute pour la fabrication d'objets, dont les fameux “Kwi”, toujours utilisés aujourd'hui comme ustensiles de cuisine.
Un peu plus tard, cet héritage des amérindiens a été utilisé par les esclaves marrons qui se sont cachés dans les forêts denses du centre de l'île. Ils y ont combiné leurs propres connaissances issues de la culture africaine (introduction du fruit à pain) et l'expérience de la culture de minuscules lopins de terre attribués par le maître et dont ils devaient tirer au maximum parti. Ces jardins d'esclaves, métissés encore par la suite par les vagues d'immigration et notamment indienne (le pawoka) sont devenus après l'abolition de l'esclavage le jardin de case ou “jaden bo kay” qui entoure la maison. Ils ont continué à être des moyens d'autosubsistance jusque dans les années 80 où une amorce de leur déclin a été observé.
Le jardin créole, une solution écologique pour l'auto-consommation
« C'est un espace représentatif du mode de culture domestique traditionnel des Antilles, où les espèces sont cultivées surtout manuellement et généralement associées. Autrefois, il pouvait assurer une large part d'autosuffisance alimentaire aux familles rurales. Mais aujourd'hui, il se contente de jouer un rôle très utile d'appoint alimentaire, médicinal et ornemental », Lucien Dégras “Jardin créole-Repères culturels, scientifiques et techniques.”
Aujourd'hui, le jardin créole semble revenir en force et notamment grâce à l'appropriation par une nouvelle génération qui diffuse ce savoir parfois oublié sur les réseaux sociaux et rassemblent des dizaines de milliers d'abonnés désireux de partager ce savoir (voir Les jardins de Nini en Martinique, 100%zeb en Guadeloupe).
Au-delà de cette popularité croissante sur les réseaux, le jardin créole intéresse les scientifiques. Savamment orchestrées, ces associations de plantes sont aujourd'hui étudiées par les agronomes de l'INRA ou du CIRAD pour trouver des solutions à des problématiques de ravageurs ou de maladies. En effet, les associations culturales sont aujourd'hui considérées comme LA solution à privilégier alors que les produits phytosanitaires sont de plus en plus mis sur la touche. Tout ce que les anciens connaissaient est aujourd'hui validé : l'azote apporté par le pois, les plantes colorées qui attirent les nuisibles et protègent les cultures, l'échec de la monoculture au profit des cultures diversifiées. Mais ce n'est pas le seul avantage du jardin créole. Le savoir acquis par les anciens permet aujourd'hui de produire en quantité sur une petite surface. A l'heure où l'autosuffisance alimentaire est un enjeu et où la vie chère fait rechercher des solutions alternatives, créer son propre jardin créole devient une nécessité, un acte militant. Son avantage, c'est qu'il peut être décliné d'un petit lopin de terre en zone urbaine (voire même sur un balcon), jusqu'à des grandes surfaces, ses principes restant les mêmes et rejoignant ceux de la permaculture comme on appelle cette façon de cultiver dans d'autres régions du globe.
Les associations de plantes dans le jardin créole
Finalement, l'observation de la nature par les anciens, de ses cycles, notamment celui de la lune, des amitiés ou inimitiés entre les plantes est une constante universelle et le jardin créole n'y échappe pas. Cet héritage précieux peut vous permettre de créer chez vous un petit havre de paix en respectant ses principes immuables :
Devant la maison, des plantes ornementales, fleuries, colorées, plutôt basse ont un rôle d'accueil, de représentation, mais aussi de protection. Parmi les traditionnels crotons et roseau d'Inde et bougainvilliers se cachent des plantes ayant un pouvoir magique si l'on en croit les écrits de notre pharmacien, Emmanuel Nossin dans son ouvrage “Plantes magiques de Martinique et de Guadeloupe”.
Derrière la maison, tout proche, les plantes médicinales et aromatiques (gros thym, brisée, basilic, atoumo, aloé vera, zeb mal-tête...) à portée de main pour la cuisine et les soins. Et des arbres qui stabilisent le terrain comme le manguier et le fruit à pain qui vont en plus apporter une ombre salutaire à l'habitation.
Puis, vient le cercle du potager ou jardin vivrier où se mélangent igname et dachine (une association classique). Le pois doux sera également présent, car ses feuilles, riches en azote, en plus d'assurer une fonction de couvre-sol contre l'érosion vont enrichir le sol naturellement. Le bananier et le chou caraïbe qui donnent beaucoup d'ombre devront être plantés plus loin, pour ne pas entraver la croissance des aubergines, concombres, giraumon ou christophines. Par contre, une bordure d'arachides est souvent placée pour protéger le sol et l'enrichir en azote.
Enfin, plus loin, des arbres donnent l’ombre nécessaire à certains plants (café, vanille, cacao par exemple ont besoin d'ombre) et ont une fonction de stabilisateur de terrain et de coupe-vent. Autour du potager, on trouvera un petit verger : citron vert, goyaves, avocats, papayes, corossols, pommes cannelles...
Dans le jardin créole, ces
associations riches permettent d'avoir des éléments paysagers
intéressants avec différentes strates (herbacées, arbustes,
arbres), mais au-delà de l'embellissement de l'espace, c'est la
temporalité qui est intéressante avec un jardin qui va donner toute
l'année grâce à un décalage des semis et des plantations calés
sur la lunaison et les saisons : le carême (saison sèche) et
l'hivernage (saison des pluies). Les apports de matière organique se
font le plus souvent avec des matières naturelles comme le fumier et
les produits phytosanitaires ne sont pas utilisés.